Pssst...N'hésitez pas à me partager vos recommandations culturelles sur le sujet, pour venir nourrir mes obsessions ! Merci ☺️
L'ours et le renard, Erik Werenskiold, 1908, musée national d'Oslo, juillet 2025
J’ai une passion folle pour les histoires d’amour.
Les comédies romantiques, les séries, les livres, les correspondances amoureuses ou amicales, la chronique Amours de jeunesse du Monde, les récits de rencontres amoureuses ou d’amitiés à la vie à la mort.
Tout ce qui raconte l’Amour dans ses formes multiples, ses durées échevelées, ses affres intérieurs, ses cheminements compliqués me fascine.
J’ai longtemps eu honte de cette obsession.
Il faut dire que, jeune femme dans les années 2000, elle ne pouvait prendre qu’une forme ou presque: celle des relations romantiques hétéronormées.
Je ne sais qu’en penser aujourd’hui. Comment écrire de façon honnête, sans mépris mais sans angélisme non plus sur ce schéma narratif auquel - tout comme la majorité d’entre vous je suppose - j’ai été biberonnée: un homme et une femme se rencontrent, ils s’agacent autant qu’ils se plaisent, chacun veut sauver l’Autre et devenir le centre de son monde, l’une pour le soigner, l’Autre pour la protéger d’elle-même et du monde, ils luttent contre cela pour finalement se rendre à l’évidence sur un quai de gare, dans un hall d’aéroport ou au beau milieu d’une fête de Noël: c’est leur destin. Fin de l’histoire.
Bien entendu, il existe des milliers de variations à partir de ce schéma et je pense avoir écumé tout ce que les rayons comédies romantiques de Netflix ou Amazon ont à offrir sur le sujet. Et ne parlons pas de mes dizaines de visionnage répétés de Dirty Dancing, Roméo et Juliette, Titanic ou - je l’avoue - Dawson. (Si vous n’avez jamais vu cette série, vous pouvez sauter les trois paragraphes suivants)
C’est cette série qui m’a mise sur la piste de quelque chose de plus profond que le plaisir simple du conte de fées.
Si vous étiez adolescent à la fin des années 90, vous savez que - contrairement à Hartley coeurs à vifs- Dawson était loin de faire l’unanimité. Elle raconte la vie complètement idéalisée d’une bande de lycéens quelque part dans une petite ville côtière de Cape Cod, près de Boston. L’intrigue principale repose sur le triangle amoureux formé par Dawson, ado cinéphile se rêvant en futur Spielberg, Joey, son amie d’enfance et Pacey, son meilleur ami. La série s’ouvre sur l’arrivée d’un quatrième personnage, Jen, une jeune femme qui va chambouler l’équilibre de l’enfance.
Les ados d’aujourd’hui qualifieraient certainement la série de « cringe ». Surtout dans sa version française, mal traduite et mal doublée. Ce qui est profondément dommageable car elle vaut avant tout par ses dialogues. Dans Dawson, les lycéens ne discutent jamais, ils dissertent. Sur la vie principalement, l’Amour surtout. Ils passent leur temps à s’analyser, à ausculter chacune de leurs émotions, à s’interroger sur le Bien et le Mal. Bref, ils vivent une méta-adolescence qui n’a rien de très réaliste.
C’était précisément ça que j’aimais tant dans cette série. L’arc narratif consistant à faire de chaque personnage un archétype d’une de nos voix intérieures, comme un choeur antique vient éclairer les affres de l’Amour qui se trament d’abord en nous, bien avant de se jouer avec les autres.
En 2020, les droits de la série ont été achetés par Netflix. J’ai revisionné mes épisodes préférés (Team JoeyPacey) avec mes yeux de féministe adulte. Pleins de choses étaient désormais datées ou problématiques. Mais l’une d’entre elles était au contraire extrêmement touchante: la place fondamentale donnée au consentement. Amicaux, amoureux, familiaux, les liens tissés dans Dawson sont constamment interrogés au prisme du consentement: peut-on avoir cette conversation? Peut-on s’embrasser? Peut-on se faire un câlin? Dawson rendait le consentement désirable. Sexy.
C’est à partir de là que j’ai compris ma fascination pou les histoires d’amour. Ce que je trouvais niais, pas assez féministe, trop guilty pleasure d’adolescente attardée était finalement une exploration de ce à quoi on consent quand on s’aime.
Les narrations amoureuses hétéronormées ont ceci de bien pratique qu’elles nous évitent de réellement y réfléchir.
Consentir, c’est se mettre d’accord, s’accorder. Quel beau mot …Entrer en résonance, vibrer sur la même longueur d’onde. Pourtant l’accordage est un métier. Au moins une compétence. Pour qui n’a pas l’oreille absolue, il faut a minima un diapason pour trouver le la puis descendre ou monter la gamme.
Qui donne le la dans les histoires d’amour? Avec quelles histoires entre-t-on en résonance quand on choisir d’aimer nos amant·es, nos ami·es, nos parent·es ?
Pour réellement consentir, il est nécessaire de mettre à jour les cadres narratifs dans lesquels nous choisissons de nous placer.
Pour réellement consentir, il faut se dire. Encore et encore. Maladroitement certainement mais nous sommes une espèce fabulatrice qui ne cesse d’inventer des histoires pour donner du sens à ce que nous vivons.
Aimer est la grande expérience de l’existence. Qui peut donc croire que cela pourrait se passer de mots?
Aimer ne consiste pas à deviner. Ni à être deviné. Je trouve que c’est ce qu’il y a de magnifique dans la théologie chrétienne. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». Cette phrase qui ouvre l’Evangile selon Saint Jean donne corps à l’accueil universel, à l’Amour comme vertu. Chaque personne que nous rencontrons est un livre dont les histoires changent au prisme des rencontres.
C’est cela je crois que racontent, en sous-jacent, les histoires d’amour de toute sorte. Le philosophe Stanley Cavell voit dans la fréquentation des comédies romantiques une « véritable éducation des adultes ». Et Thibaut de Saint-Maurice, qui le cite d’ajouter «A regarder ces films, on se rend attentifs à ces changements, on enrichit son expérience et on affine son jugement sur ce qui rend la rencontre d’un ou d’une autre possible ».
Oui la fréquentation des histoires d’amour est une éducation à l’altérité et à la vérité fragmentée. Une histoire d’amour, c’est toujours la rencontre de deux narrations, deux personnes qui se racontent des histoires sur elles-mêmes, sur le monde qui les entourent, sur l’ordre social souhaitable, sur le sens de la vie.
C’est la conflictualité fertile de ces narrations qui crée une histoire d’amour, un récit commun nourri des transformations de l’un comme de l’autre.
Comme c’est passionnant de trouver les mots justes pour décrire tout ce qui est à l’œuvre dans l’Amour, pour essayer en vain d’en cerner les contours par le langage alors qu’une part irréductible de ces histoires relève de l’indicible, du sensible, de l’immatériel, d’une sédimentation lente de sensations et de sentiments.
Je crois que les relations amoureuses qui durent sont celles qui réécrivent constamment leur histoire, subvertissant les codes, s’enrichissent de nouveaux arcs narratifs à l’aune des éléments perturbateurs qui ne manquent pas dans le chaos de la vie. Ces histoires réussissent à donner forme et sens au magma d’émotions qui nous traversent sans cesse.
Aimer c’est se raconter, à soi, à l’autre, au monde, c’est un verbe qui se conjugue, à tous les temps et à tous genres, dans des phrases qui signifient toujours plus que ce qu’elles disent.
Et vous, quelle est la dernière histoire d’amour que vous avez écrite?
J’aurais une liste infinie, longue comme le bras, d’oeuvres à vous recommander, mais comme je n’ai pas dix ans devant moi et vous non plus, je vous mets quelques recommandations spontanées, tirées des choses qui m’ont le plus émue récemment ou auxquelles je reviens toujours sur ce sujet!
...